Prédire l'avenir de la recherche
Les marchés de prédictions aident les chercheurs à déceler l’évolution de la recherche dans les domaines des systèmes de communication et d’information mobiles.
Prédire l’avenir a, de tout temps, été une préoccupation pour l’homme. Alors que certains dirigeants font toujours appel à des voyants ou autres pour fonder leurs décisions, les entreprises se trouvent confrontées aux mêmes problèmes, qu’elles résolvent de manière différente.
Les nombreux outils de forecasting utilisés actuellement se basent principalement sur les méthodes statistiques, les modèles mathématiques et les avis d’experts. Si les méthodes statistiques et les modèles mathématiques nous permettent de prévoir l’évolution de la météo à court terme ou du PIB à moyen terme, elles sont sans voix lorsqu’il s’agit de prédire la date de la mise sur le marché du premier vaccin antisida ou la part de marché qu’aura l’iPhone en Suisse au début 2008. De même, les experts, seuls, en groupe ou enrôlés dans des processus tels que Delphi ou scenario thinking, se retrouvent piégés par la confiance excessive qu’ils octroient à leur propre jugement. Ken Olsen, le fondateur de Digital Equipment Corp (DEC) disait en 1977 : « Il n’y a aucune raison que quelqu’un souhaite posséder un ordinateur à son domicile ».
En 1651, alors que la recherche était la chasse gardée d’un nombre restreint de chercheurs ne reconnaissant leurs résultats qu’entre eux, des médecins ont créé le premier marché de prédiction portant sur le taux de mortalité résultant de diverses Ecoles. Il a ensuite fallu attendre la fin des années 1980 pour que les marchés de prédictions redeviennent d’actualité.
Les marchés de prédictions sont des marchés à terme dont les contrats ne portent pas sur des matières premières ou des devises, mais sur des idées. C’est ainsi que dès 1988, on trouve les premiers marchés de prédictions portant sur les élections présidentielles américaines. Depuis cette date et malgré les irrégularités survenues lors des dernières élections, les marchés de prédictions ont toujours été plus précis à prédire le résultat de l’élection que toutes les autres méthodes, y compris les nombreux sondages d’opinion.
A l’instar des autres marchés, les marchés de prédictions sont des plates-formes permettant d’échanger (d’acheter et de vendre) des contrats à terme portant sur la survenance ou non d’événements sous-jacents. Si nous désirons savoir si HEC aura été accrédité par un second label d’ici la fin 2009, nous pouvons créer un contrat du type : « HEC Lausanne a été accrédité sans réserves par un second label avant le 31.12.2009 », s’échangeant entre 0 et 100 francs. Dans le cas où la prévision est correcte, la valeur finale du contrat vaudra 100 alors qu’elle sera nulle dans le cas contraire. Les personnes qui pensent que cela va être le cas vont acheter des contrats, ce qui va faire monter le prix, alors que les personnes qui pensent le contraire vont vendre ces mêmes contrats, la vente à découvert étant possible. Après quelques transactions, le prix de ce contrat va se stabiliser à un prix d’équilibre représentant la probabilité de survenance de l’événement. Ainsi si le prix est à 42, cela signifie que la probabilité qu’HEC soit accréditée avant fin 2009 est de 42%.
Le prix d’équilibre est le résultat de l’agrégation de l’information disponible auprès de tous les négociants a un moment donné. Il est le résultat d’un consensus sur la probabilité de survenance du contrat. L’objectif de chaque négociant étant de maximiser son portefeuille, et par là, ses gains, il va devoir agir non pas en fonction de ses propres convictions (comme il le ferait lors d’un sondage), mais en fonction de toutes les informations publiques et privées dont il dispose. Les négociants les moins informés vont ajouter du bruit dans le prix, ce qui va faire fluctuer le prix, offrant une opportunité de gain supplémentaire aux négociants les plus avertis. De même, au gré des gains ou des pertes sur le marché, l’influence relative de chaque négociant va augmenter ou diminuer.
Avec l’entrée en force d’Internet dans les foyers et les entreprises, surfant sur la vague Web 2.0, les marchés de prédictions sont devenu un moyen rapide et peu onéreux d’agréger anonymement l’information disponible auprès d’un nombre important d’acteurs. Depuis quelques années de nombreux marchés permettent à tout un chacun de spéculer sur les résultats d’élections ou de compétitions sportives, sur les déboires des people, sur les nominations aux oscars, sur l’adoption de nouvelles technologies ou la date du début d’un éventuel conflit avec l’Iran.
En même temps, de grandes entreprises ont commencé à utiliser de tels marchés pour prédire les ventes trimestrielles d’imprimantes (HP), les dates de fin des projets (Siemens) ou de sortie des nouvelles versions de logiciels (Google), le nombre de bugs dans les nouvelles applications (Microsoft), la mise sur le marché de nouvelles molécules (Eli Lilly) ou encore, pour choisir les idées méritant d’être développée (GE).
Notre recherche s’intéresse plus particulièrement à l’utilisation des marchés de prédictions comme système d’aide à la décision dans le cadre de la gestion de projets R&D. Pour ce faire, un marché nommé MarMix a été créé afin de prédire l’émergence des différents domaines de recherche en systèmes de communication et d’information mobiles. De multiples indicateurs sont utilisés actuellement pour suivre l’évolution des domaines de recherche, tels que le nombre de publications, les thèmes des conférences et le nombre de participants y assistant ou les dépôts et utilisations de brevets. Tous ces indicateurs sont à postériori et permettent d’évaluer, avec plus ou moins de pertinence, la recherche effectuée. Bien que la chute d’un indicateur indique la perte d’intérêt pour un domaine défini, elle ne permet pas d’anticiper ni le mouvement de retrait, ni la survenance de nouveaux domaines à long terme. Or la compétitivité actuelle dans la recherche implique que chaque unité soit à la pointe, nécessitant de déceler les prochains domaines porteur en amont.
Pour ce faire, MarMix permet aux chercheurs de spéculer sur l’évolution des différents courants de recherche à moyen et long terme, négociant des contrats sur les réseaux de senseurs ou les transmission par ultra wideband. Le prix d’équilibre de ces contrats va permettre aux chercheurs de repérer à temps les ruptures survenant dans leurs domaines de recherche, leur permettant de réorienter leurs travaux en conséquence.